Le 7 novembre, nous manifestons pour la revalorisation des métiers du secteur non-marchand. Une énième manifestation qui n'aura peut-être que peu d'écho politique, mais qui s’avère essentielle dans le contexte actuel.

Depuis plusieurs mois, je sens la tension croitre dans le réseau. Les hôpitaux sont dépassés et incapables d’accueillir des personnes pourtant extrêmement fragilisées, tant au niveau de leur santé physique que mentale. Les assistant·e·s sociales·aux du CPAS sont sur le fil, avec de plus en plus de dossiers et de moins en moins de temps octroyés pour les gérer. Nos patient·es se retrouvent pendant plusieurs semaines sans revenus, sans aide médicale, sans colis alimentaires, sans rien. Parfois, nous devons batailler contre nos propres collègues, ces travailleur·euses de CPAS, pour tenter de préserver les quelques droits déjà bien mutilés des personnes que nous accompagnons. Et ce, alors même que nous devrions nous battre avec ces travailleur·euses pour de meilleures conditions de travail.

Actuellement, je sens une accélération dans mes tâches quotidiennes, une charge qui ne cesse d’augmenter. Et dans ce contexte anxiogène, encore et encore, nous essayons de continuer à prendre soin.

A prendre soin des patient·es, de leur bien être, de leur projets et de leurs rêves;

A prendre soin de leur santé physique, de leur santé mentale, des traumatismes sur le parcours;

A prendre soin des récits, des rencontres, pour tisser du lien et pour l’avenir;

A prendre soin avec eux de leur hygiène, de leur maison, de leur budget et de leurs droits;

A prendre soin de nos collègues pour faire face ensemble à la souffrance, à la violence, aux injustices et aux décès.

Parfois, pour les voir s’épuiser, et continuer à prendre soin,

Et parfois, oublier de prendre soin de soi, et s’épuiser, à force de tenir.

Depuis que je suis arrivée à Infirmiers de rue, il y a deux ans maintenant, je vois défiler mes collègues. Et pourtant, ce ne sont pas des « erreurs de casting » : nous débarquons toutes et tous motivé·e·s, prêt·e·s à en découdre avec le système, avec cette volonté, tenace, d’apporter un peu de douceur dans la vie de celles et ceux que nous accompagnons. Nous nous serrons les coudes, décompressons ensemble, nous rions, beaucoup.

Mais malgré toutes les politiques de bien-être au travail, malgré la solidarité inter-collègues, malgré les supervisions, malgré les rires, j’ai cette sensation de nous voir tomber, les uns après les autres, broyés par la machine, en sous-effectif à peu près tout le temps.

Parfois, je ne sais plus comment faire face.

Je rêve de politiques sociales plus adaptées, qui pensent en termes d'humains plutôt qu'en chiffres. Qui fassent confiance envers les travailleur·euses pour faire un boulot de qualité, et non de quantité, sans les ensevelir sous une paperasse uniquement destinée à vérifier qu’iels font du bon boulot. Parce qu’une chose est sure : nous faisons de l’excellent travail avec le peu de moyens que nous avons.

Je rêve de politiques sociales qui prennent en compte la question des personnes sans-papiers et la crise du logement, qui offrent de réelles réponses à l’augmentation des souffrances psychiatriques, et qui revalorisent les métiers du « care ».

En bref, je rêve de politiques qui prennent soin de nous, à l’image de la manière dont nous prenons soin des autres.

 

Témoignage de Eileen, assistante sociale en logement

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