Monsieur L*. vit en logement depuis quelques années. 

Je le connais vraiment bien parce que j’ai été son référent pendant plus d’un an. 

On a une relation qui marche bien au niveau professionnel, on arrive bien à collaborer ensemble. Et je trouve que c’est vraiment une chouette personne. 

Mr L.

Il est très contrasté : c’est un ‘attachiant’. Il peut parfois être très difficile dans la relation et t’envoyer de très sales trucs à la figure. Et en même temps, je continue à éprouver beaucoup de sympathie pour lui. Je prends toujours énormément de plaisir à aller le voir, alors que je sais que ça peut parfois être compliqué et que je vais sortir de la visite presque déprimé. 

Pour moi, il est très représentatif du travail d’IDR : il a été longtemps suivi en rue et vit en logement depuis une dizaine d’années. Sa situation évolue extrêmement lentement. 

On pourrait avoir l’impression qu’il stagne, voire régresse par moments. 

C’est sur plus d’un an de suivi qu’on se rend compte qu’il y a de petits trucs qui bougent. 

La personne qu’il est aujourd’hui, la façon dont il interagit, etc., c’est très différent de nos premières rencontres. Mais ça reste quelqu’un de dépressif, qui a des hauts et des bas, avec des différences de comportement extrêmes contre lesquelles il se bat depuis des années. 

Ce qui est étonnant, c’est le constat que, souvent, les personnes qu’on accompagne éprouvent des difficultés à se projeter dans le futur.

Et lui, c’est exactement le contraire ! Il est bourré de projets, d’envies, d’idées.

Par exemple, il veut prendre un chien, car il a été ‘maître-chien’ pendant des années auparavant. Mais il y a un truc émotionnel très fort par rapport à ça parce qu'il s’est fait voler son chien quand il était en rue. C’est donc un truc qui l’habite complètement, de reprendre un chien. On sait que le jour où ça arrivera, ça va vraiment le tirer vers le haut. 

Mais c’est extrêmement lent à mettre en place. Il en parle beaucoup, seulement, dès qu’on arrive avec du concret, comme la possibilité de se rendre au refuge en voiture, il se ferme totalement, car c’est trop difficile à gérer pour lui émotionnellement. Ce sera peut-être pour dans 6 mois, 1 an ou plus, qui sait…

C’est génial, car il parle beaucoup de ses envies variées (repasser son permis, refaire son appart’, dessiner, etc.), ça a l’air plus facile qu’avec d’autres patients. Tu te dis que ça va aller. Mais en fait, il a une extrême difficulté à s’engager concrètement pour faire ces choses. Ou alors, parfois il se lance dans un truc positif, et pendant quelques semaines ça va, il y a des avancées. 

Puis tout d’un coup, il repasse dans un gros moment de down, sans qu’il y ait de raison vraiment particulière. 

Dans ces moments-là, il se dégrade complètement, ne prend plus ses traitements, ne se rend plus à ses rendez-vous médicaux. Du coup, ça le met encore plus dans des états physiques et émotionnels catastrophiques. 

Mr L.

Et quand je vais le voir, il devient super négatif. Soit il ne dit rien du tout, il est complètement fermé ; soit il va être dans la confrontation, dans l’agressivité. En plus, il me connaît très bien, il sait comment me toucher et il ne se prive pas de le faire. Il me dit “ma vie c’est de la merde, et je vais me buter, et tu vas faire quoi ?”. Il me met vraiment face à ma culpabilité et ma responsabilité de travailleur social, puis il me montre que je ne sais rien faire, mais attention, sans dépasser la limite ! Pour de ne pas casser complètement la relation… 

Avec les collègues, on est derrière, à le pousser, et c’est souvent compliqué. Mais on a trouvé un truc pour le motiver à aller à ses rendez-vous : il est fan de Linkin Park, du coup, on lui dit qu’on a pris la voiture et l’album qu’il aime bien. On l’écoute à fond pendant le trajet, en chantant à tue tête. Et ça marche, ça le motive. 

Tout ça fait aussi la force de Monsieur L., car il suscite vraiment beaucoup de sympathie et d’empathie chez nous. Dans les moments où il va bien, il partage beaucoup. 

On a un humour assez semblable, qui est assez piquant, incisif. Je l’utilise beaucoup quand il va mal. Je lui rentre aussi un peu dedans. Vu qu’il ne s’en prive pas, moi non plus ! 

Et ça fonctionne bien. Personnellement, je me marre bien avec lui. 

Il a eu une vie assez riche, assez dingue. Quand il en parle, on passe de chouettes moments. On peut causer de plein de trucs. Il adore le cinéma, il a une énorme culture cinématographique. Et j’aime beaucoup le ciné aussi donc on peut en parler. 

On a vraiment des intérêts communs, comme je pourrais avoir avec n’importe qui !

                  - Iannis, travailleur social chez Infirmiers de rue

 

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patients et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.

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