Elle cache son visage. Elle se sent persécutée, entend des voix très menaçantes au quotidien. Elle est dans un état de fatigue psychologique et physique extrême.

Cela fait quelques mois que Madame S.* est dans la rue.

Lors de nos rencontres, nous apercevons parfois un de ses yeux bleus, mais son visage nous reste inconnu. Elle se protège en le dissimulant le plus possible.

Malgré toutes les persécutions qu’elle subit – certaines ne sont pas réelles mais il ne fait aucun doute qu’elle vit une grande insécurité en rue- un lien se tisse avec nous et elle parvient à demander de l’aide, à sa façon. Mais elle refuse la plupart des logements et des propositions d’hospitalisation.

Ses contradictions nous alertent de plus en plus sur son état psychique et sa capacité à prendre les bonnes décisions pour elle- même.

Elle se met en danger en essayant de se protéger.

Après mûre réflexion, nous décidons de lancer une procédure d’hospitalisation sous contrainte, que nous préparons le mieux possible afin qu’elle ne soit pas violente pour Mme et, au contraire, suscite son adhésion. Avec l’aide d’une partenaire du réseau santé mentale qui connaît très bien Mme S. et en qui elle a une grande confiance, nous lui expliquons nos inquiétudes, et que le soin est devenu indispensable, qu’un juge de paix viendra la voir en rue pour en décider.

Nous redoutons de perdre le lien avec elle si l’hospitalisation est vécue comme une violence, notamment au vu des persécutions qu’elle ressent au quotidien du fait de sa pathologie.

Finalement, Mme S. accepte d’être conduite à l’hôpital par la Police. Rapidement la médication l’apaise et elle dit entendre beaucoup moins de voix et s'y sentir bien. Elle est très  reconnaissante de l’aide qui lui est apportée.

Elle se repose beaucoup et retrouve une routine qui la sécurise.

Il est difficile pour elle de sortir durant les premières semaines. Elle émet beaucoup d’envies et de projets mais lorsque nous lui proposons de l’accompagner à l’extérieur pour concrétiser ses demandes elle, prétexte qu’elle le fera plus tard.

Nous comprenons que l’extérieur est un vecteur de stress pour Mme S. après ses longs mois en rue. Nous nous adaptons à son rythme et nous continuons à essayer de susciter une demande sans jamais la forcer. Petit à petit, elle montre totalement son visage, elle accepte de jeter les habits qu’elle portait en rue et prend de plus en plus plaisir à prendre soin d’elle.

Mme S. est finalement transférée dans une institution psychiatrique ouverte pour continuer son parcours de rétablissement. Elle y progresse très rapidement, accepte de sortir accompagnée, est très proactive dans ses démarches administratives et aime beaucoup faire les magasins pour s’acheter des vêtements ou des produits de beauté. Elle est de nouveau très ancrée dans la réalité. Même si elle a conscience d’avoir toujours besoin d’un soutien au quotidien pour le moment, elle est contente de vivre en communauté et de participer aux activités proposées.

Elle sait que le temps est nécessaire pour se reconstruire.

Son rêve serait de voyager seule quelques jours en France comme elle l’a déjà fait dans le passé, et de rentrer en logement au terme de son hospitalisation pour retrouver son indépendance. Un beau chemin parcouru...

 

(*) Nous mettons tout en œuvre pour respecter la vie privée de nos patient·es et notre secret professionnel. Nous voulons néanmoins témoigner de la façon dont ils doivent survivre et de la manière dont nous travaillons ensemble à leur réinsertion. Par conséquent, le nom des lieux et des personnes sont volontairement omis ou modifiés et des situations vécues sont placées dans un autre contexte. Il n’y a pas de lien direct entre les photos et les histoires ci-dessus.

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© photo P-Y Jotray